dimanche 9 mai 2010

7 MAI...Un quart de nuit



07 mai, 12H30 UTC-3, 35°07N, 52°58W. 15nds de vent, mer belle.

C'est assez difficile de raconter ce que nous faisons à bord, mais c'est encore plus difficile d'expliquer ce que nous vivons, ce qui se passe au fond de nous. Les journées se rythment d'elles-mêmes avec des moments partagés, des temps de lecture, de sieste, les repas et un peu de navigation tout de même. Mais la nuit est d'une toute autre ambiance. Les quarts, période de veille obligatoire divisent la nuit en trois temps de quatre heures qui se passent seul. Il faut bien que tout le monde puisse dormir à son tour. Nous allons essayer de vous emmener, l'espace de quelques minutes dans l'ambiance d'un quart de nuit au milieu de l'océan. Pour cela il vous faut un assistant, quelqu'un qui va vous lire ce passage afin que vous puissiez fermer les yeux, vous plonger dans l'obscurité et vous laisser venir le plus près de nous. Ne commencez surtout pas tout seul, vous briseriez votre voyage. Vous êtes prêt? Alors installez vous assis, confortablement, fermez les yeux et laissez à quelqu'un d'autre le soin de vous lire la suite.

Ouvrez ce lien dans une nouvelle fenêtre et lancez la musique de Lorena Mc Kennitt en cliquant sur l'icône de lecture
http://www.deezer.com/fr/#music/result/all/mc%20kennitt


"Vous êtes assis, vous vous sentez comme si vous vous étiez assoupi, vous êtes toujours chez vous. Il fait nuit et l'ambiance vous semble différente de celle d'hier soir. La plupart des lumières sont éteintes.
Seules deux lumières rouges vous permettent de vous repérer dans cet environnement qui vous est pourtant familier. Tout en restant assis, vous regardez autour de vous. Rien ne semble avoir changé, cependant quelque chose vous trouble. L'ensemble de votre maison est en mouvement, un long mouvement ample et lent qui vous fait vous enfoncer plus profondément dans votre siège à chaque remontée, vous appuyer sur le pied gauche à chaque légère rotation à gauche. Il fait frais, un peu humide et vous avez très envie d'un grand thé brûlant.

Vous vous levez. Chaque pas demande d'être anticipé. Vous traversez la pièce dans laquelle vous vous trouvez en vous tenant de mur en meuble et entrez dans la cuisine. Les verres qui sont dans les placards s'entrechoquent légèrement à chaque coup de roulis. Au fond de l'évier une grande cuillère claque au fond de la casserole que vous n'avez pas eu le courage de nettoyer hier soir. Vous remplissez la bouilloire d'eau, allumez le gaz et restez à côté pour vous réchauffer un peu. Vous versez l'eau chaude dans votre tasse et faites le chemin inverse vers votre bureau avec une seule main pour vous tenir. Vous n'êtes toujours pas très bien réveillé. En passant devant les chambres vous nous trouvez, l'équipage de Katanka en train de dormir. Une petite voix vous dit cependant que vous ne devez pas nous réveiller, que c'est votre tour de veiller et qu'il vous faut être vigilant. Vous n'avez pas le droit d'aller dormir, il n'y a personne d'autre, votre téléphone ne fonctionne pas et vous sentez bien qu'à cet instant, vous êtes la seule âme éveillée. Vous avez au bras une montre qui décompte le temps. le compte à rebours semble avoir commencé à 4h00. La petite voix vous dit que c'est ce qu'il vous reste à patientez seul. Après et seulement après vous pourrez aller dormir.
Un fond d'angoisse commence à se répandre au fond de vous. Vous avez envie d'air. Toujours en vous tenant à chaque pas, vous vous dirigez vers la porte qui donne sur la terrasse. Vous sortez. Votre terrasse est toujours là mais désormais délimitée par un balcon. Votre jardin a disparu et à la place une étendue de mer qui semble infinie. Vous faites le tour de la maison, regardez par chaque fenêtre. Vous ne voyez que de l'eau, il n'y a plus rien d'autre. La boulangerie de l'autre côté de la rue, le voisin fou, les enfants d'en face qui jouent au ballon, tout a disparu. Seulement de l'eau à perte de vue. Vous avez besoin de sortir, c'est là que vous vous sentez le mieux.

En sortant, vous passez devant votre bureau. Un écran de la taille d'un petit ordinateur semble pouvoir vous indiquer où vous êtes. Une grande carte de l'Atlantique y est est représentée. Un petit rond symbolise votre maison. Vous êtes en plein milieu. Un cadran indique "distance parcourue: 2658km", la ligne en dessous: "distance restante: 2166km" et encore en dessous "temps de parcours restant: 9 jours 6 heures et 43 min".

Ces chiffres ne vous sont pas familiers, alors vous comparez ces distances avec celles de vos dernières vacances: 2166 km, Paris-Casablanca, 9 jours... vous aviez eu de la chance, votre directeur vous avait laissé deux jours de plus; 6 heures, c'était le temps de route pour y aller. Vous réalisez alors que le temps va encore être long et qu'il va falloir l'occuper; sans vos amis, sans radio, sans télévision, sans sortir de chez vous et sans communiquer avec le monde extérieur.
Une fois dehors, votre terrasse vous paraît tout petite. Vous vous installez dans votre chaise longue, bercé par le mouvement des vagues et le bruit de l'eau. Vous buvez votre thé qui a un peu refroidi. Il fait noir. Cette nuit, la lune traine à se lever. Peut-être ne se montrera t-elle pas du tout. Alors les étoiles s'en donnent à coeur joie. Vous avez l'impression de pouvoir les attraper. Il y a tellement d'étoiles filantes que vous ne savez plus quel voeu faire. Vous n'avez plus sommeil, plus froid. Vous n'avez plus peur. La musique vous envahit. Vous voudriez partager ce moment mais vous savez qu'il ne serait pas pareil si vous n'étiez pas seul. Alors vous vous laissez aller dans toutes les réflexions que vous n'aviez pas eu le temps d'avoir, que vous ne vous autorisiez pas autrement. Ici rien n'est interdit, vous avez le droit de penser à ce que vous voulez, de rêver à n'importe quoi. Personne ne vous dira que vous n'êtes qu'un doux rêveur et que le vie est bien différente de cela...
Vous semblez apercevoir derrière chaque vague vos monstres d'enfance, celui du fond la cave, du grenier, de dessous le lit et de derrière l'armoire. Ils se sont tous échappés et sont arrivés jusqu'ici. L'angoisse revient. Tous s'approchent de vous. Vous voulez crier. Et puis, à l'intérieur de ces capuches noires, vous croyez reconnaître des visages familiers. Ce sont vos anges gardiens. Ils ont toujours été là, à vos côtés. Ce sont eux qui vous protègent et qui vous guident. Vous ne parvenez pas à leur parler de même que vous ne comprenez pas ce qu'ils disent. Mais c'est comme si quelque chose passait entre vous, un flux d'énergie, une série de messages que vous décoderez le moment venu.

Votre montre indique que les quatre heures se sont écoulée. La petite voix vous dit que vous pouvez aller réveiller quelqu'un pour vous relayer dehors. Vous êtes partagé. Vous continueriez bien votre discussion avec vos anges gardiens mais si vous voulez les retrouver demain et ne pas être fatigué, il vous faut vous reposer.

Vous allez dormir. Vous êtes bercé par la mer. Vous dormez. Vous sentez le jour sur vos paupières. Avant d'ouvrir les yeux vous allez reprendre contact avec votre corps. Bougez légèrement les doigts, les orteils, sentez l'ensemble de votre corps et son contact avec votre fauteuil. Tournez la tête, étirez vous. Vous êtes bien chez vous et rassurez-vous votre maison est elle aussi revenue à sa place.

Nous, nous sommes toujours à la place de ce petit rond sur l'écran et avons encore un bon bout de route à parcourir. Mais si l'envie vous prend, venez prendre un quart de nuit.

Grosses bises.

Jules

1 commentaire:

Unknown a dit…

merci pour ce doux moment bises à vous Nelly